Invisibles enfants
écrit par Matthieu Girard


      Invisibles enfants… Ouvrez vos cœurs, vos esprits, vos cerveaux creusets de nos avenirs. Vous qui jamais n’avez vu le reste du monde de vos prisons du vide, qui n’avez connu que la peine et la douleur, la douleur de vivre sans pour autant pouvoir le dire à personne. De vivre dans une nuit perpétuelle. Vous viendrez et nous apprendrons, la nuit, dans les mugissements du vent froid et des grandes aurores boréales, nous apprendrons de vos vies trop tôt sacrifiées sur l’autel de l’inutile qui recouvre de son clinquant accessoire le masque de bronze immuable des dirigeants muets de la société. De ceux qui sont juges, jurés et exécuteurs à la fois. Les hypocrites. Mais nous sommes tous des hypocrites après tout. Et les enfants invisibles, les pauvres petites grandes âmes des rues mortes sous le frimas de l’hiver et les enfants invisibles battus trop souvent par des parents négligents…

Ou juste condamnés par la génétique à faire le même geste hostile à l’égard de leur progéniture pendant les siècles de siècles, amen. Ah! La génétique et son lot de tares qui de générations en générations en dégénérations se transmettent inchangées… Le mal prend racine toujours plus profondément que le bien; en fait il est indélébile, il faut passer le pinceau à plat dessus et repeindre le tout avec l’ignorance, l’indifférence, l’insouciance, et espérer que la peinture pâle du bien, toute pastel, toute en demi-teintes, couvrira bien le noir incarnat des actions impures qui souillent les mémoires collectives de trop de jeunes gens et de vieux à l’agonie. Rien ni personne ne peut en fait y changer quoi que se soit, nous sommes tous des témoins impuissants de notre impuissance ironique et si délicieuse, tant et tellement que certains se complaisent dans les inepties les plus crasses qui soient, pour la gloire du second degré.

Maintenant le mauvais est à voir au second degré, il est risible, comique. Et puis le vieux, l’inoriginal, est prétendument kitsch et vintage… Risibles peuplades de primitifs que nous sommes, encore à s’imaginer que notre règne d’Homo Sapiens peut être décisif pour tout un monde, qui de toute façon se fout bien de notre sort. La Terre, je me permets de parler en son nom, aimerait bien que l’homme disparaisse de sa surface, j’en suis persuadé. Cela lui ferait une race de parasites de moins à essayer de détruire elle-même. Et puis la gangrène nous ronge tous au moins jusqu’à la moelle, la maladie de l’homme qui se nomme la curiosité à l’égard de nos motivations et la curiosité maladive à essayer de vouloir connaître les pensées derrières les actes et les paroles et les écrits et les gestes et tout et tout! Que c’est désolant de savoir qu’un peuple entier est tenu dans l’ignorance de son incapacité à se comprendre lui-même, par lui-même et pour lui-même.
Évidemment, je peux très bien comprendre que ce serait éminemment pratique pour tout un chacun de pouvoir connaître les motivations des autres à leur endroit, amis alors, où résiderait l’attrait de la vie, son attrait pathologiquement subversif vers l’inconnu, vers le difficile, vers ce qui choque. La masse de la populace, abrutie de gavage médiatique commandité par nos gouvernements, elle, est irrécupérable, elle est morte avant même d’avoir vu le jour. On aura beau jeu de lui montrer et lui remontrer encore sa vacuité totale, elle se fermera les yeux et reculera derrière des remparts de phrases pré-faites et de maximes et de proverbes, tous aussi abstraits les uns que les autres, et qu’elle brandit comme jadis les ecclésiastiques brandissaient crucifix pour éloigner les démons et les esprits malins… Croyances. Dans l’attente d’une hypothétique délivrance qui n’arrivera jamais ils préfèreront se laisser mourir dès leur naissance, à petit feu, entretenant de fugaces et futiles espoirs à propos de tout et de rien, pleurant parfois, riant trop, mangeaillant des n’importe quoi et parlant de pseudo-sciences avec un air affecté. Comme j’ai honte d’appartenir à cette race de fils déchus, de ces surhommes avilis par tout un monde de traditions plus que millénaires contre lesquelles il est malheureusement impossible et vain de se battre. Les enfants invisibles reviennent sans cesse tourmenter les gens qui cherchent une clé au bonheur alors que la serrure n’a jamais existée.

Parfois, seul dans mon lit, je me surprends à penser que la vie de végétal doit être une sinécure. Alors, je me permets une lueur d’espoir fatidique.

Peut-être qu’au prochain cycle de réincarnation karmique j’aurai droit à une âme de nénuphar…