Renaissance
Cycle de Trévane I
écrit par Matthieu Girard


      I
Il est un lieu où tout est blanc. Où la vie respire le calme et la sérénité, où les animaux batifolent gaiement dans la garrigue, dans des steppes fertiles, où aussi la mort n’est pas exempte de beauté.

II
Dans une camionnette jaune, menton affalé sus ses bras croisés par-devant sa poitrine, un type dort profondément. Il a aux commissures des lèvres un cigare de cloué, il le fume machinalement.
Depuis treize heures il dort dans l’écrin d’acier, de chrome coruscant et de plastique ensoleillé, et il rêve.
Aux abords du véhicule criard, depuis bientôt presque quatre heures, une prétentieuse famille de geckos niche, se chauffant de la proximité du métal. Eux aussi dorment, l’air heureux, écailles rutilantes sous les obliques rayons plombés du soleil tropical.

III
Intermède.
Fermez les yeux.
Blanc. Mettez-en à portée de vue, à perte de vue même. Un désert de blafardes lactescences, recouvert d’un sol pareil à un manteau d’hermines de jadis, et dont la virginité n’est, ne sera, ne fut, jamais troublée.
Dans tout ce blanc naît une fulgurance de presque teinte, un capricieux maelström timide de couleurs pastelles; sur le sol écrit rouge de la haine humaine un mot. Peu importe. Le mot.

Par-delà un horizon trouble se laissant désirer, l’oiseau de mort fait son nid.
Mais cessez d’imaginer! Ouvrez les yeux, aveugles!!!
Plus rien n’est ivoirin… Et la sombre tache noiraude, perfide, d’un amas de brindilles collées par des sécrétions animales se profile, rotation planétaire aidant.

IV
Derrière tout absurde (encore faudrait-il pouvoir s’entendre sur la définition d’absurde) se cache une vérité. Dans tout rêve se dessine un peu de la réalité.
Sommes-nous dans la réalité? Y a-t-il une description satisfaisante de ce qu’est la réalité? Est-elle matérielle?
Qui peut le dire? Personne?

V
Je dors, de puits d’inconscience en puits de rêves doucereux, d’abîmes en abysses…
Et dans ma tête penchée de façon fort commode sur mes membres antérieurs repliés, mon cerveau se lâche, se relâche, me permet de voir les images que projette mon subconscient.
Blanc. Puis, subitement, sans avertir, plus rien. Tout cela, le décor onirique, ressemble beaucoup à mon enfance, lorsque la neige n’était pas encore corrosive et bleuie par les produits chimiques des usines qui étaient en suspension dans notre atmosphère altérée. En ce confinement de pureté incolore (oui, je sais, blanc n’est pas une couleur, mais une teinte) se glisse subrepticement la vie, pourtant. La vie, saine ou pas du tout, de l’esprit. Mais, déjà, s’en est trop, mes cornées sentent la voluptueuse caresse de la lumière qui leur parvient, dénudées de l’écran des paupières.

VI
Oiseau de mort : Archæoptéryx Thanatosis. Oiseau des régions tropicales humides et tempérées, à plumage noir avec présence de rouge dans les derniers ramages chez le mâle. Envergure : 1m 20 adulte. Des spécimens exceptionnellement grands ont déjà été observés en petit nombre. Cet oiseau est au centre des mythes du peuple mythique du continent perdu de Mu, à qui ils avaient réservé la place de régulateur et de suprême juge du bien et du mal.

VII
Un panneau s’abaisse à l’arrière du fourgon topaze. La camionnette vomie forces instruments tarabiscotés, et l’homme qui les manipule a les yeux clos. T moins une minute. Que douze heures cinquante-neuf de sommeil; il reprendra ses esprits là où il les a perdus.

VIII
Dès que les premières lueurs solaires eurent léchées mon visage et mon corps avides de vie, je me sentis d’attaque. Restant assis sur mon siège de cuir noir zébré de déchirures aléatoires, je me mis à l’inventaire. Dans le coffre à gants une machette, un robuste Zippo à réservoir surdimensionné empli d’une bouteille de butane sous pression, trois mois de senzeis et c’est à peu près tout. Au moins, je ne mourrais pas de faim!
Le corps de Trévane est toujours à ma gauche, son joli minois est doucement posé sur le chrome terni de sang du volant, son œil droit faisant un amphigourique bungee au bout du nerf optique.
Vive l’hermétisme; la putréfaction ne progressait pas trop rondement. Peut-être aurais-je le courage de l’inhumer moi-même, qui sait?
Son rictus semble me dire que rien ne presse, que rien n’est important, tout sardonique malgré la rigidité cadavérique. En fait, elle n’a pas souffert. Du moins, je me plais à le penser. Pause, ici, histoire de laisser la trame se dérouler, et de te perdre un peu, toi, lecteur, dans les méandres des déductions…

IX
D’autres lieux, d’autres temps.
D’aucuns avancent sous une averse folle de sang, qui lui gicle des plus hauts faîtes, qui vient des douceâtres capucins à colliers qui s’entretuent laissant derrière eux un charnier tout à fait dégoûtant et repoussant.
Vert. Tout dans l’épaisse jungle tropicale se colore de subtiles émeraudes qui paillettent les faciès des hommes à la manière de grotesques pantomimes des temps anciens. Une orgie de rouges et de verts, végétalisme ravageur, s’avance donc, au son de riches harmoniques modulées par des gorges desséchées d’hommes.
Militarisme. Une-deux scandés par les sbires, les sous-fifres des généraux qui ne daignent se montrer sur le terrain. Les bottes s’enfoncent dans un miasme abject, dans la boue, la fange, le sang, les fientes et toutes sortes de spermes et de menstrues, et s’en retirent avec des plops sonores.
À l’avant, cubain aux commissures, l’air résolu quoique le regard égaré entre narquois et hagard, marche un gradé. Le lieutenant, chef de sa division de l’unité commando.
Objectif : Empêcher la fin du monde.

X
Trévane… En sanglots je te pleure hurlant de toutes mes faibles forces alors que mon âme s’étiole de se savoir séparée de toi. Le destin me toise de son sourire cruel, bien lui en fasse!
J’ouvre la porte sans la voir, chasse de stupides geckos insouciants qui paresseusement se prélassaient, fait le tour du véhicule, trébuche sur un nombre incertain d’appareils divers…
Mes genoux rencontrèrent le sol spongieux et à mes yeux se portèrent mes oreilles pour étoffer l’appel lancinant de toi, Trévane… Si douce, Trévane…

XI
Le nid semblait être d’un style baroque ancien, un rococo dantesque, surornementé et trafiqué à l’extrême. On s’étonnait de le voir tenir bon malgré la bise fraîche qu’apportait le nord. À tire-d’aile, l’oiseau de mort arrive, avec son vol poussif et les serres engluées de guano. Arrêt en vol. Les serres lâchent le matériau, qui, en séchant, consolidera l’invraisemblance architecturale du nid, et en fera un lieu de renaissance.

XII
Le petit terrain de terre nouvellement retournée me mit un lingot de plomb au fond de la gorge, et une boule de telles dimensions commande indéfectiblement les larmes, la tristesse, la souffrance.

XIII
Il est surpris. Les glandes lacrymales sont pratiquement intarissables, et son chagrin a soif de sel et d’eau. Une soif inextinguible.
Après s’être éveillé, le lieutenant fit un rapide inventaire, glissa la machette à l’étui pendu à sa ceinture, rangea le briquet dans la poche intérieure de son veston et ouvrit sa portière, non sans avoir posé un œil torve et humecté sur la femme à son côté. Il fit le tour du véhicule, renversant au demeurant deux fragiles oscilloscopes, et chut.
Là, et las, il sut subitement qu’il y a toujours place pour la douleur.
Le lieutenant s’accroupit encore, et creuse, se brisant les ongles qui reposeront désormais pour l’éternité avec Trévane, et il creuse encore. À mains nues, en sueurs, en pleurs, la terre perd de son relief et s’affaisse, devient perforation, s’élargit un tantinet, se fait trou. Se perd en épanchements romanesques alors qu’il dépose un chaste baiser sur les lèvres closes de la morte. Au fond du trou, le sol inégal lui cambre les reins, et Trévane sourie toujours, l’œil droit sur la joue gauche.
Les rites funéraires de dernière minute, improvisés, ne sont que des baumes à usage unique et personnel, que l’on espère voir clamer la brûlure du déchirement.
Une pluie oculaire tombant drue des yeux du gradé cahute la terre fraîchement retournée, qui, lentement, devient boue.

XIV
L’amour est un nombre imaginaire. J’en suis maintenant persuadé. Je m’explique. L’amour est comme un nombre imaginaire, il existe mais dans une autre réalité, en parallèle, à angle droit, de notre monde, en quelque sorte, puisqu’une fois dans ce monde-ci il ne peut que causer douleur et peine, malgré tout le bonheur dont il fut la source auparavant. L’amour est un nombre imaginaire, utile certes, mais aussi différent de l’homme et de sa pensée que l’est son penchant mathématique; en fait c’est précisément son caractère étranger à nous-même qui en fait toute la puissance, car forcément comme il nous est étranger on ne le comprend pas plus lorsqu’il débute que lorsqu’il s’achève. Enfin, il est impossible de le comprendre en son entier et dans toutes ses subtilités pour l’humain. C’est un peu comme si une civilisation extraterrestre nous en eut fait don, mais en omettant le mode d’emploi. De toute façon, même s’il existe, il n’est pas réel. Du moins, voilà mon point de vue, déformé peut-être il est vrai par un événement sur lequel je n’ai pas eu prise.
En plein cœur de la brousse, toi, Trévane, tu dors du dernier sommeil.
Mais j’ai une mission à mener à bien, et si la première fois j’ai bien failli échouer intégralement, maintenant, c’est différent. Je suis rigoureusement seul, avec les images d’où je dois me rendre et bien que ne sachant quoi y faire, je compte bien réussir.
Car, dans son lit terreux, Trévane, elle, ne me pardonnerait pas d’échouer.

XV
Blanches ivoires troubles qui se superposent en longueurs d’ondes qui dépassent l’entendement humain, à la vue de ce spectacle dépaysant, fantasmagorique. Si, ici, la vie a déjà eu court, une ombre enténébrée vient d’entrer en scène.
Et, agissant comme il se doit, une chétive orchidée de pensée humaine fleurit sur un rameau cassé arraché par le vent au nid de l’oiseau de mort.

XVI
La tendresse, tout comme la mélancolie, n’est pas un sentiment que l’homme éprouve sans le désirer, mais cela ne change en rien son importance, ne la diminue ni ne l’augmente. Car toute perception est le résultat d’un jeu de vues subjectives et, à trois pas d’un tombeau au beau milieu de nulle part, hier, aujourd’hui, demain, la nature a été, est, sera, la seule et absolue maîtresse.
Et l’homme, dans son kaki qui le rend méconnaissable en jungle épaisse, sort sa machette, son briquet, et fourre ses senzeis dans une petite outre dont il se ceint la taille avant de partir dans la bonne direction.

XVII
Souvenirs évanescents de vols majestueux qui exultent les cœurs et rendent un peu d’Icare à l’homme.
Un peu sur la gauche, six mois auparavant.
Une colonnade de képis et de AK-47 s’engouffre dans une grotte d’où parviennent des accords irréels, vaporeux et comme mystiques.
Un seul éclair noir, un seul.
Un homme, un seul, était vivant.

XVIII
Passez le seuil de la caverne pour une seconde fois fut éprouvant. Mais pas tout à fait assez pour me faire rebrousser chemin, pour me permettre de survivre en cas de riposte, la fuite n’étant plus une option, la fuite même qui avait toujours été mon allié, qui m’a épargné la première fois. Ça fait une sacrée impression quand même! Je suis dégluti par la grotte, en ce sens que je suis totalement ingéré, submergé par elle, au bout de laquelle est une porte qu’il me faut franchir. Ma bouche accueille avec mille ravissements le senzei que lui apporte ma main. Voilà, mon repas pour la journée est fait. La frugalité de l'ascèse conduit à la pureté de l’âme et du corps.
Titubant dans le noir de jais, je n’entends pas de musique cette fois. Le cuir de mes bottes imperméables s’assouplit au contact d’une eau tiède et croupie qui m’arrive aux genoux, et je bute contre un objet. Avec un sensible effort, je me penche et reconnais un ancien membre de mon commando, boursouflé par l’eau dans laquelle il repose.
Pas d’émotions. Rien que la pensée qu’il ne pense plus.
Et cela fait germer, je le sais, un mince pétiole de tulipe de l’autre côté de la porte.

XIX
En fait, vous croyez certainement comprendre, mais prenez des notes. Ceci servira pour un futur examen. Une action n’exige pas nécessairement une justification (car on sait tous que les actions injustifiables sont une réalité), pas plus qu’une hypothétique finalité. Mais par contre, toute action entraîne toujours une réaction.
Fermez les yeux. Blanc toujours, poissé d’une grande éclaboussure grise et noirâtre qui boursoufle ses ogives contre la gravité.
Au fond, si vous tournez en rond, prenez donc la petite porte qui n’a nul besoin de poignées.
Et n’oubliez pas, que du blanc, avec quelques exceptions végétales et une forme horrible dressée.

XX
Dans le macassar voûté de la grotte millénaire, comme un pauvre hère, avance tel un ivrogne le lieutenant sur des jambes mal assurées qui exécutent des pas mal balancés. Autour de lui flottent, à-demi engloutis par l’eau cendreuse, les macchabées qui furent ses subordonnés. À son nez parviennent des effluves doux-amers qui lui agressent les sens, et qui précipitent sensiblement sa progression.
En trois minutes de marche il atteint un premier coude.
Au fond du dernier couloir est une porte toute marmoréenne et écrasante.

XXI
De son monde, dans un autre univers, l’oiseau de mort attend patiemment le moment propice à la fin de la conception de son nichoir. Le ciel blanc semble réverbérer le sol ad nauseum. Tout en haut d’un arbre-alambic se dresse l'inconcevable architecture qui paraît l’œuvre d’un dément et qui est le nid presque achevé.
Debout, sur son perchoir, une grande ombre veille, attentive.
Bientôt, ses ailes s’ouvriront, pour mieux se refermer.

XXII
J’arrive au seul tournant de ce morne parcours et un frisson me corniche dans l’échine. La pierre nue des murs devient à cet endroit très lisse et commence progressivement à se réchauffer.
Avec la très désagréable impression d’être épié par des prunelles peu amicales, je presse le rythme et mes cuisses se mouillent maintenant à mi-hauteur. Que l’eau soit depuis un moment déjà plus froide que les murs où errent mes mains ne m’incommode ni ne m’effraie le moins du monde.
La détermination que peut donner la mort d’un être aimé est de loin plus forte que la peur de la mort.
De toute façon, la devise de mon défunt commando était : Peu importe le prix, la mission doit réussir.
Non, il ne me vient pas à l’esprit des images de sacrifices wagnériens pour la préservation du monde. Vanité que tout cela. Je ne fais que mon devoir, et celui-ci me commande d’aller dans un autre univers pour y tuer quelque chose ou quelqu’un.
En temps voulu, Trévane, je saurai quoi faire.

XXIII
Nous sommes tous, sans exception, de pensants automates conditionnés par nos relations interpersonnelles à devenir telle ou telle chose ou encore à éprouver telle ou telle émotion en des circonstances données et prédéfinies. La parfaite illusion du choix est une réussite géniale. Des automates, purement. Simplement. Machines.
Mais les machines peuvent toujours se dérégler.

XXIV
Petite.
Porte sans poignées.
Ouverture.
Dehors, c’est-à-dire dedans, il y un bruissement de vent qui contourne un cairn de pierres semi-précieuses dressé là jadis par des mains étrangères à tout peuple.
Et, encore, infatigable, l’homme avance vers elle.
Lorsqu’il passe à proximité du cairn, il remarque qu’il a une configuration obscurément triangulaire.

XXV
Il est à huit pas de la porte blafarde qui naguère sur son linteau portait un bas-relief mettant en garde les non-initiés de se protéger et de quitter pour ne jamais revenir en ces lieux. Le lieutenant sort sa machette, l’assujettie confortablement dans sa menotte droite. Le froid contact, si familier, de l’acier galvanisé à chaud contre sa dextre le rassure peut-être un peu, quelque part.
Il observe quelques instants la porte sans poignées, ni gonds d’ailleurs, et trouve à son imposante présence une stature digne des grands chefs anciens. Il ne se doutait même pas que cette petite fente fermée par d’archaïques moyens mécaniques n’est pas, en somme, utile. Alors, machette à la main, il fit huit pas.
Et pressa sa senestre sur un glacial suaire rocailleux et blanchi à la chaux.

XXVI
Habituellement, lorsque l’on pousse une porte avec la ferme intention de l’ouvrir, on s’attend à ce que celle-ci s’ouvre et à ce que l’endroit derrière elle nous soit révélé.
Sornettes !
La réalité est toute autre…
Et là, dans le blême portail reliant deux mondes aussi dissemblables, inséparables, que l’amour et la haine, se dresse un individu qui ignore tout de sa raison de vivre, mais qui, bientôt, saura tout sur l’influence qu’aura sa mort.
Car, l’oiseau de mort, tous sens exacerbés, guette, et attend le retour au point zéro. Ses ailes le démangent de redevenir l’instrument du tout-puissant progrès.
Fuite en avant. La porte est béante.

XXVII
Je touche la porte pour illico m’apercevoir qu’une forêt de néant s’est ouverte sous mes pieds, cataracte de blancheur qui semble aussi vide qu’irréelle. Un pied tremblotant se pose devant son comparse, nettement moins tremblotant cependant, et un sol intangible le soutient - ou du moins semble en mesure de le soutenir. J’avance donc, machette bien serrée dans mon poing, et mes yeux s’abreuvent de la blancheur et la distille en de subtiles variations de teintes et en variances saugrenues.
Ici, un blanc coquille d’œuf; là-bas, un blanc plutôt maussade qui est en fait une teinte de couleur mal définie ressemblant au blanc de la laine de mouton brute. Plus loin, un blême argent, mais sans le moindre chatoiement.
Devant mon ébahissement se déploient deux ailes gigantesques, qui embrasent l’horizon de leurs glauques plumes sans reflet.
Au sol est écrit un mot qui me pince amèrement l’âme et me plie l’être.

XXVIII
Trévane. Il est utile d’interrompre la continuation à ce point précis pour tâcher de donner une idée de qui est donc cette femme qui veut tant dire pour le lieutenant.
L’ambition descriptive n’est pas ma force.
Elle était très jolie, entres autres…
L’intelligence combinée à une beauté hors-norme amène souvent les hommes à des actes qu’ils ne se soupçonnaient pas capable de réussir.

XXIX
L’oiseau de mort avait pris son envol dès l’instant où l’homme avait scellé son destin en franchissant le seuil de l’existence. Ses ailes toutes grandes déployées formaient une formidable salissure de noirceur dans l’immaculé cru de l’environnement. Profitant au maximum de la diversion du nom de Trévane écrit en lettres de sang au sol, celui-ci s’élançait vers le lieutenant à une vitesse prodigieuse. Il savait qu’il ne devait pas perdre une seule seconde.

XXX
Un sec claquement de mâchoires acérées à ma droite me sort de ma torpeur causée par la vision du nom de Trévane sur le sol, et je comprends à cet instant que je devrais tuer cette bête ignominieuse qui m’attaque pour mener à bien la mission.
Mais est-ce que la mission me commande de tuer une seconde fois Trévane?

XXXI
Ceci est le reflet des illusions de l’homme.
Vivre, c’est souvent regarder les autres mourir.

XXXII
Il est bien et bon de voir que derrière un amas de lave solidifiée est gisant un corps humain déchiqueté âprement, et que devant lui se dresse, imposante, la silhouette à contre-jour d’un pantagruélique oiseau au bec rougi par le sang de la carcasse face à lui, qui servira à écrire une fois de plus un seul et unique mot, par terre.
Le blanc sera de nouveau porteur de vie, de renaissance, par sa souillure dans l’écarlate de l’hémoglobine.
Par l’amour du lieutenant, Trévane vivra.
L’oiseau, repu des viscères et des organes tièdes et bouillonnants de sang frais, retourne sur son perchoir, couver l’œuf qui contient la damnation d’un monde. Mais, cette fois-ci, Trévane s’appellera différemment.
On la nommera Pandore.

XXXIII
Le blanc de l’œuf est brisé; déchirure de la réalité discontinue de nos êtres sous-tendus par les médias avilissants qui croient avoir une vie importante. Sis seulement nous savions qui est cet oiseau de mort qui nous tient sous son emprise, qui tire les ficelles du jeu absurde de nos futiles vies de pantins éveillés. Qui sait, peut-être réussirions-nous à échapper à l’irrationnelle emprise hégémonique des sentiments?
De l’amour naît trop fréquemment le besoin, du besoin de refaire le monde au besoin de tuer pour mieux aimer, ou encore celui du viol et de la luxure vile et perverse. Mais, refaire le monde, même par amour, ne donne jamais de bons résultats.
Jamais ?