Ce topic n'est PAS en lien avec la crise sanitaire.
Il fait un état des lieux de l'anticomplotisme comme marque de néo-stupidité apparue dans les 2010s et exprime en ce début de décennie les bases de ce qui se jouera à l'avenir.
Commençons.
Cette première partie énonce les bases de l'idée, en la replaçant dans une séquence historique.
Dans les 90s, il existait des "reportages d'investigation". Caméra cachée, patrons floutés, zoom sur des contrats, enquête, témoins...effarés, on prenait connaissance devant nos télés, de l'étendue des corruptions, pesticides utilisés contre la loi, ministres achetés, études frauduleuses contrôlées par Coca Cola pour montrer qu'il y a pas de danger, détournements de fonds, paradis fiscaux, des gouvernements complices de sombres affaires, des meurtres commandités, des scandales sans aucune suite...et on apprenait, en somme, la leçon amère de la réalité derrière la surface.
On sortait de ces reportages scandalisé, énervé. Et ce sentiment était logique ! Oui, le sentiment naturel après ces révélations étaient logiquement la colère. Pas la relativité et la suspicion des méthodes.
Il ne serait jamais venu à l'idée d'un spectateur qui visionne des contrats falsifiés et des témoignages, que bwof finalement on peut retoucher des pixels pour reconstituer une signature et que le PDG était un acteur.
Il faudra attendre l'incroyable twist des 2010s pour que, face à la révélation des coulisses, la réaction première soit la suspicion face à la noirceur.
Mais ne grillons pas les étapes.
Ces reportages d'investigation livraient donc cette réalité : la surface est le mensonge ; la réalité se cache dans les profondeurs. Mais cette réalité...est intemporelle !
=> toute la littérature y mène, toute la philosophie, tout le cinéma, tous les essais, toute l'Histoire, tout, tout, absolument tout !
C'est ce qu'il faut bien comprendre : ces reportages d'investigation n'étaient pas la révélation 90s d'un fait ; ils n'étaient que la manifestation moderne.
Le prolongement naturel du journaliste à chapeau de la prohibition qui suivait dans les ruelles noires le politicien qu'il allait photographier en train de serrer la main de la mafia.
Dans le passé, il fallait être un con pour croire que la surface ne cache rien. Ou un enfant. Et puis on étudie, et puis on apprend. Comprendre que la réalité se trouve derrière la surface, c'est devenir adulte.
C'est pas du complotisme, c'est l'histoire de toute la littérature ! Balzac, Steinbeck, Gabriel Garcia Marquez, Tomasi Di Lampedusa, tout, tout y mène ! C'est le sens de l'histoire ; le roman d'initiation ; les principes philosophiques ; l'étude de l'histoire des guerres, des conflits, de la manipulation, encore et encore, à l'échelle du pouvoir mais aussi des révolutions, l'histoire des révolutions, noyautages, détournements de colère, contre-feux, discours mensongers pour chair à canon, tout tout, la montée de la bourgeoisie avec le prétexte anticlérical, l'histoire faussée de la République, tout ! On a d'ailleurs - étrangement, allez savoir - bien garder cette vision d'une manipulation omniprésente pour le IIIeme Reich : là par contre, y a pas de doute, on l'a bien compris, les nazis ont comploté, manipulé, fausse attribution de crimes aux juifs, propagande, Staline pareil, là c'est bon, on mange et on s'en souvient. 1984. Ouuuu. Par contre, après, mmmm non c'est bon, c'est ok, y a plus de profondeurs, s'ouvrent le monde de la volonté saine et affichée d'entrée.
Mais ces reportages d'investigation présentaient 2 défauts :
- qualitatif : ils ne pouvaient pas enquêter sur TOUT. La main tendue au financement, c'est la direction de la chaîne qui va décider. Et le capital se concentrant en des mains de moins en moins nombreuses...comment s'affranchir de la pression du licenciement ?
- quantitatif : y en a pas assez ! On est là, constamment à attendre le prochain "lundi investigation", "envoyé spécial"...une fois par mois, pwarf c'est long...vous imaginez si on pouvait en faire à profusion ?
Internet va régler ça. Les 2 problèmes.
S'ouvrent les années 2000. Et ce qui va advenir est...
...
...bon le porno et les mp3, ok. Donne la liberté aux humains, la première chose qu'ils font, c'est la satisfaction de la perversité et celui de la marchandise.
Mais aussitôt - en parallèle que se développaient les moyens, pour être précis (forums, blogs, puis streaming, youtube) -, l'information a commencé à se propager en temps record. Immédiat.
Les années 2000, c'est l'avènement des profondeurs qui court-circuitent la surface.
Plus besoin de donner des gages au patron de TF1, plus besoin de l'argent de Libération, plus besoin de l'aval !
Ancien colonel de l'armée qui balance, gros patrons qui témoignent, employés qui disent ce qu'ils ont vu, lobbying, corruption systémique, les fondations cachées de l'Union Européenne, pédocriminalité de réseaux...puis smartphones qui filment des scènes, webzines d'information qui se multiplient. Période incroyablement enthousiasmante, intellectuellement jouissive, ça monte, ça monte ! Il semble que la bite satisfaite et la culture dévorée, les humains se passionnent pour la compréhension du réel.
Et ça s'organise ! Auto-financement, toujours plus de témoignages, la conscience monte, les organigrammes des groupes de pouvoir, conscience de l'oligarchie, l'arnaque historique de l'alternance gauche/droite, les fondements de l'élection, la réalité des réseaux n'est plus uniquement connue des quelques illuminés qui auront emprunté à la bibliothèque : le Siècle, les collusions malsaines, le dîner du CRIF, Skull & bones, Trilatérale, Bilderberg...
Chaque manipulation médiatique est affichée, ridiculisée : la traduction de Chavez avec Ahmadinejad par l'AFP, les fragments sortis de leur contexte etc.
Ca ne pouvait pas durer.
Et c'est là que sort le mot qui définira les 2010s : complotiste.
Bien trouvé.
Sorti des loges ou autre, c'est LE terme qu'on emploiera pour empoisonner le puit en faisant mine de ne parler 'que' des "illuminati-reptiliens fanboys".
S'ouvrent les honteuses années 2010s. Et, avec l'anticomplotisme, son changement de paradigme révolutionnaire. Lisez bien : pour la première fois - de l'humanité ? -, sera considéré comme stupide ce qui creuse derrière la surface.
Pour la première fois, l'intelligence sera de croire la surface.
Pour la première fois, chercher, creuser, se méfier - ce qui, ça allait de soi, avait toujours été des attributs positifs - sont désormais synonymes de "gogols délirants sous gourou".
Gigantesque panneau stop dans le sens de l'intelligence. Gigantesque.
Et très pratique ! Auto-censure, "t'as déjà (...) toi ? Oula non j'suis pas complotiste", auto-effrayé à l'idée de creuser, balises très pratiques pour gros flemmards.
C'est une véritable bénédiction pour les mollusques. C'est parti, adoubé, la conscience tranquille, on peut librement aller jouir des ressources à consommer, baisouiller, mater des séries et jouer aux jeux-vidéos ; l'espace dédié à la "connaissance des choses du monde" est désormais comblé, en 2 temps 3 mouvements, la conscience politique à portée de main, en kit tout prêt. Merci les think tank <3
Pourtant, "la réalité, c'est ce qui continue d'exister lorsqu'on cesse d'y croire", ne pas regarder la réalité ne l'empêche pas d'exister ! Aussi, tout continue en parallèle : les mallettes de billets, les accords entre multinationales, les politiciens passe-plats de l'économie, la censure médiatique, les manipulations, la hiérarchie de l'édito qui décide du contenu des sujets, réseaux pédo, toxicité camouflée par les intérêts, corruption systémique, empoisonnement du sol légalisé...
Ainsi, face à ça, l'audimat est désormais scindé en 2 : ceux qui continuent le cheminement millénaire du "creusage derrière la surface" et ceux qui baignent dans le bain-marie chaud et réconfortant du formol "anticomplotisme" en ébullition.
L'anticomplotisme des années 2010 est à rebours du sens de l'Histoire. Pour combien de temps encore ?
Car une génération chasse la précédente. Et une nouvelle décennie s'ouvre.
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