Chapitre 2: Quand petit investisseur devient grand
Nous avons vu au chapitre précédent que l'argent aujourd'hui valait plus que ce même montant demain. Je vous ai introduit au concept de taux sans risque et vous ai expliqué que laisser dormir votre argent avait un coût: le coût d'opportunité. En effet, en laissant dormir votre argent, vous perdez l'opportunité de l'investir, sans risque, sur un livret A, et donc d'une certaine manière perdez de l'argent.
Mais vous vous rendrez rapidement compte que les investisseurs professionnels n'utilisent pas le taux de sans risque comme base d'actualisation (méthode vue au chapitre 1) pour décider de l'intérêt d'un projet. Le taux sans risque est effectivement utile pour voir si d'une manière absolu le rendement est intéressant mais il est rare qu'un investisseur soit confronté à des projets d'investissements qui sont en compétitions avec le taux sans risque.
En général, les investisseurs utilisent la méthode d'actualisation pour comparer la rentabilité d'un projet par rapport à son marché.
Déjà, essayons de voir comment la formule du chapitre 1 peut être utilisée pour comparer deux projets dont la structure de rendement est différente:
Projet A; il s'agit d'un prêt de €1,000 qui permet de recevoir 4% d'intérêts pendant 10 ans, puis d'être remboursé la dernière année
Projet B; il s’agit d’un prêt de €1,000 qui permet de recevoir 20% d’intérêt l’année suivante puis d’être remboursé cette même année
Rappelons la formule utilisée au chapitre 1:
PV = FV/[(1+r)^t]
Donc, cela signifie que le Projet A génère:
En année 0, - €1,000
En année 1, +€40
En année 2, +€40
…
En année 10, +€1,040
Chaque année la valeur de l’argent générée doit être actualisée pour que la somme totale de chaque PV nous donne la valeur réelle du projet.
On peut donc faire ça pour les 2 projets, comparer les 2 PV totales obtenues et trancher. Oui mais que se passe-t-il si les 2 investissements ne demandent pas le même apport en capital ? Si le premier passe à €2,000, (appelons-le A’), même s’il me rapporte plus en terme de PV, j’ai aussi dû investir plus, donc difficile de le comparer avec le premier.
La solution est donc de regarder plutôt le taux de rendement interne (TRI) du projet, plutôt que de comparer des PV. Ainsi on cherche donc à trouver le taux de rendement qui nous donne une somme totale des PV nulle, càd [Somme de 1 à t] de FV/[(1+TRI)^t] – montant initial = 0
Soit TRI = ([Somme de 1 à t] de FV + montant initial)/t
Donc cela nous donne:
Projet A; €400 de rapporté, 4% de TRI
Projet A’; €800 de rapporté, 4% de TRI
Projet B; €200 de rapporté, 20% de TRI
Ici les exemples étaient simples, le TRI correspondait aux intérêts, mais vous voyez maintenant comment sur des structures de paiements plus complexes le calcul de TRI permet de comparer deux projets.
Conclusion: il vaut mieux investir dans le projet B… Sauf que non. La conclusion est juste le projet B est plus rentable. Ce qui va vous faire choisir entre A et B est votre profil de risque, donc non seulement le rendement mais aussi le ratio risque/retour de chacun des deux, et les autres opportunités qui vous sont disponibles (est-ce vraiment intéressant de prendre le projet B si pour les 9 années suivantes je n’ai plus d’opportunités aussi rentables que le projet A ?)
Bref, il n’y a pas de formule magique, pas de marche à suivre qui mène au succès. Juste des outils d’analyse et votre capacité à les utiliser.
Tous ces outils vous le verrez ne sont pas forcément nécessaires pour investir et se créer un patrimoine. J’applique ces formules au jour le jour dans mon métier, pourtant je ne m’en sers que peu dans la vraie vie. Mais il est néanmoins important de comprendre ces concepts et d’ainsi les utiliser quand c’est vraiment utile.
Pour conclure ce chapitre je vais terminer avec une dernière leçon théorique et vous montrer une méthode (très simplifiée) utilisée par les investisseurs pour valoriser une entreprise qu’ils souhaitent racheter afin que vous puissiez voir ce que donne ces formules quand on va au bout de la logique:
- Je veux acheter une entreprise qui transforme des oranges en jus d’orange
- Cette entreprise m’envoie ses comptes et son plan d’affaires sur 3 ans
- L’entreprise n’est pas endettée mais n’a plus vraiment de trésorerie disponible
- L’entreprise compte générer €20m de trésorerie avant versement de dividendes en année 1 puis €23m en année 2 et €25m en année 3
Combien vaut (EV) l’entreprise ?
Si l’on suppose que l’entreprise va en théorie continuer d’exister à l’infini, EV = PV de la trésorerie de l’année 1 + PV de la trésorerie de l’année 2 + PV de la trésorerie de l’année 3 + PV des toutes les années suivantes à l’infinie.
Ici les investisseurs ne vont pas utiliser le taux sans risque pour actualiser les flux de trésorerie en leur PV mais plutôt partir du principe leur son coût d’opportunité est de ne pas investir dans d'autres entreprises comparables. Ou dit d’une autre manière, ils s’attendent à ce que l’investissement soit au moins aussi rentable que son marché.
Je vous épargne le calcul, mais grosso modo il s’agit d’ajouter au taux sans risque la prime de rentabilité de marché du pays multiplié par le taux de corrélation au marché du secteur.
Disons donc qu’ici il s’agit de 7%, et qu’on suppose que la croissance à l’infini de l’entreprise est d’1% (vaguement en ligne avec l’inflation), on a:
EV = 20/(1+7%) + 23/(1+7%)^2 + 25/(1+7%)^3 + [25*(1+1%)]/(7%-1%)/(1+7%)^3 = €402.7m
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