Citation :
Qui se ferait chier à envoyer un gros pavé constructif et néanmoins intéressant
Pour mon précédent post, précisément, j’avais rédigé un « gros pavé » que mon médiocre talent d’orateur essayait de rendre constructif et, autant qu’il m’était possible, intéressant. Le résultat était plutôt décevant.
Étant donné que je me disais qu’il y avait sûrement déjà eu un tas de discussions sur MV sur ce thème, que je ne pensais pas apporter des idées très originales et que ma conclusion était une impasse, j’ai préféré poster une courte citation qui contenait dans son ironie l’essentiel de ma pensée. Apparemment, c'était trop succinct.
D’abord, comment peut-on espérer avoir une discussion objective en matière de musique, en matière de goût esthétique ? Ce qui nous plaît, est-ce une question de logique ? de réflexion ?
Voyons, cette gavotte de Bach m’a-t-elle plu ? Réfléchissons… Hmm… Compliqué, couchons ça sur papier… Je pose 4 pour la structure, et je retiens 2 pour les accords de septième diminuée… Plus un pour la cadence parfaite… etc. Et vingt minutes plus tard, ah! j'y suis arrivé ! Mon calcul me permet de déterminer que cette gavotte m’a plu, en effet.
Non, bien entendu, il n’y a pas besoin de réfléchir, pas besoin de conduire un processus intellectuel pour déterminer si quelque chose nous plaît esthétiquement, si on le trouve beau ; on le sait instantanément. C’est ce que Kant veut dire quand il écrit que le beau plaît sans concept.
Comment pouvez-vous alors imaginer pouvoir changer l’avis d’amy à force d’arguments ?
Les critiques artistiques que l’on lit ici et là sont motivées, mais les arguments ne cherchent pas à convaincre mais à expliquer.
« Je ne vous dis pas pourquoi vous n’allez pas aimer, je vous explique pourquoi je n’aime pas ».
Les soi-disant arguments sont aussi subjectifs que la sensibilité esthétique puisque c’est elle qui les dicte ! Untel vous dira : « Regardez le contraste presque criard des couleurs du tableau Olympia de Manet, entre le corps de la jeune femme et l’arrière-plan ! C’est insupportable à regarder ! » Mais tel autre s’exclame « Regardez le contraste saisissant des couleurs du tableau Olympia de Manet, entre le corps de la jeune femme et l’arrière-plan ! C’est fascinant ! »
Voyez aussi le long dos de l’odalisque d’Ingres, moqué par certains critiques, encensés par d’autres (tandis que, sûrement, d’autres encore ne considéraient pas que c’était là un aspect essentiel du tableau).
Et les vocalises de Cristina Deutekom : sur des sites de mélomanes qui passent leur temps à comparer telle et telle voix, on lit « ça vocalise n’importe comment » en même temps que des louanges à sa technique staccato-legato.
Ce qui est un défaut aux yeux de certains, aux yeux des autres est un joyau.
Aussi, si vous trouvez que la voix d’Amy Lee est laide, que sa technique vocale est nullissime, que sa musique est sans originalité et répétitive, pensez-vous pouvoir convaincre amylynnlee1981 en le lui disant ? Pensez-vous que, s’il trouvait la voix d’Amy Lee laide, sa technique vocale nullissime, et sa musique sans originalité et répétitive, il l’écouterait ???
Citation :
quand tu vois qu'il a été capable de nous sortir des trucs du style "amy a une meilleure technique vocale que Mariah Carey" ca me laisse juste songeur...
Naturellement ! S’il trouvait la voix de Mariah Carey plus belle, sa technique et sa musique meilleure, c’est Mariah Carey qu’il écouterait.
Non, vraiment, j’imagine le dialogue :
-J’adore la musique de Mozart et je la préfère à celle de Beethoven.
-Mais n’as-tu pas remarqué que les mélodies de Beethoven étaient plus entraînantes, son orchestration plus émouvante et l’architecture de ses morceaux plus travaillée et captivante que celle de Mozart ?
-Si, en effet.
-Alors tu préfères la musique de Beethoven !
-Suis-je bête ! Je ne m’en étais jamais rendu compte.
Ainsi, telle chose nous plaît ou ne nous plaît pas en fonction de notre propre thermomètre esthétique et il est
a priori illusoire d’espérer convaincre quelqu’un en matière de goût.
De gustibus et coloribus non est disputandum
(Pour les non-latinistes, « des goûts et des couleurs, il ne faut pas discuter »).
Est-ce là tout ? Devons-nous toujours garder pour nous-mêmes nos propres impressions, sans les partager ?
Cela contredit l’instinct grégaire de l’être humain, cela l’expose à la douleur de la solitude. Il est si agréable d’avoir quelqu’un qui partage son propre point de vue.
Il paraît naturel, alors, que chacun tende à fausser un peu son propre thermomètre esthétique pour le faire ressembler à celui de son voisin. Une sorte de loi d’attraction des thermomètres, si vous voulez. Une loi qui rapproche les sensibilités, qui gomme les différences. Il n’est pas étonnant que petit à petit, des communautés entières finissent par partager le même goût. Ainsi naît le bon goût, le consensus, une même idée, résultant de la moyennation des idées de chacun.
Qu’il est alors tentant, pour l’être pur, pas encore souillé par le consensus, de se rapprocher de cette clique, pour avoir beaucoup avec qui partager. D’ailleurs, quand mille personnes disent « A » et une personne dit « B », c’est forcément les premières qui ont raison, n’est-ce pas ?
C’est en vertu de cet argument que les gens qui partagent ce « bon goût » en viennent à croire que leur goût est effectivement le seul qui soit bon. Oh ! Ils ne sont pas sectaires ! Les infortunés qui n’ont pas été pourvu de la bonne manière de distinguer le beau du laid, l’harmonie du kitch ne sont pas à condamner ! Les pauvres, pensez-vous ! La bonne étoile qui à chaque enfant distribue sa part de bon goût a injustement négligé ces malheureux. Ils sont à plaindre et non à blâmer ; tout au moins aussi longtemps qu’ils ne se mêlent pas de la conversation des gens de goût (qu’ils n’empoisonnent pas tout le monde avec leur goût de chiotte, tout de même !)
Inutile de dire que tout ce qui peut être original, déviant, nouveau, est en danger d’être aspiré par le trou noir que représente le « bon goût ».
Je resterai dans l’esprit de ce topic en citant Lélio de Berlioz :
Berlioz a écrit :
Mais les plus cruels ennemis du génie sont ces tristes habitants du temple de la Routine, prêtres fanatiques, qui sacrifieraient à leur stupide déesse les plus sublimes idées neuves, s’il leur était donné d’en avoir jamais.
J’ai employé le terme de « bon goût » entre guillemet, car il est connoté BCBG. Toutefois c’est plus généralement des consensus esthétiques qu’il est question. Et dès qu’on commence à voir des amateurs critiquer le manque d’orthodoxie, de fidélité au concept original, etc., d’une œuvre, c’est que le consensus esthétique devient un frein à la création et à la sensibilité musicale.
Alors, que faire ?
Faut-il rester dans son isolement personnel et esthétique, dans sa tour d’ivoire ?
Faut-il accepter la dictature du « bon goût » sous l’une des formes qu’il peut prendre ?
J’ai simplifié, naturellement ; un consensus esthétique n’est pas toujours un frein à la créativité, il peut permettre et souvent même il encourage des développements intéressants et innovants sous une certaine contrainte.
Je ne prétends pas avoir de réponse, mais ça m’amuse toujours de voir les partisans d’un certain consensus esthétique ruminer contre les incultes qui ne savent ce que c’est que la vraie grande musique / la vraie chanson / le vrai métal / le vrai truc muche / etc.
Je connais un site internet
www.critique-musicale.com qui critique le répertoire classique, et l’auteur des critiques est largement en porte-à-faux avec le « bon goût » actuel en matière de musique dite classique. Et quoique je ne partage pas, loin s’en faut, toutes les préférences de l’auteur de ce site, je le fréquente avec intérêt pour chercher de nouvelles musiques à découvrir.